La capture directe du CO2 dans l'air

Un récent rapport du GIEC présente plusieurs trajectoires d'émissions proposées par différents modèles d'évaluation intégrée pour respecter les objectifs de l'accord de Paris. Ils envisagent tous une trajectoire de réduction très stricte pour atteindre des émissions nettes nulles avant la fin du siècle. Lorsqu'un régime d'émissions nettes nulles est atteint, les seules émissions qui devraient être autorisées sont celles qui sont compensées par une activité de réduction directe du carbone dans l'air (CDR).

 

Croissance économique à long terme

F. Babonneau, A. Haurie, M. Vielle, Reaching Paris Agreement goal through carbon dioxide removal development: A compact OR model. Operations Research Letters, https://doi.org/10.1016/j.orl.2022.11.002

Dans cette récente publication nous avons proposé un modèle de croissance économique à long terme pour trois régions du monde formant des coalitions lors des négociations climatiques: l'OCDE, les pays émergents BRIC et le reste du monde en développement ROW. Une description complète du modèle SORMAC-22 qui est un développement du modèle publié dans OR-Letters est disponible ici. Ci dessous nous rappelons les principaux résultats figurant dans la publication de OR-Letters.

Le scénario BAU (laissez-faire)

Le scénario du laissez-faire (BAU) promet des émissions annuelles atteignant 80 Gt de CO2 à la fin du siècle, puis baissant légèrement, du fait du progrès des énergies renouvelables. La consommation per-capita augmente considérablement. Evidemment, on ne tient pas compte ici des dommages considérables qui seront dûs au réchauffement global.

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Scénario Vert (GREEN)

Dans le scénario GREEN, on limite les émissions sur tout l'horizon de planification, en fixant un budget global de 1170 Gt de CO2, qui est compatible avec un réchauffement de 2oC. On voit que les emissions chutent très rapidement, passant de 40 Gt en 2020 à 15 Gt en 2030, puis baissent lentement, jusqu'en 2120.

La consommation per-capita croit, mais de manière beaucoup moins prononcée que dans le scénario BAU.

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 Scénario MARKET avec développement DAC/CCS

 

Dans le scénario MARKET, on suppose que le budgez global de 1'170 Gt de CO2 est partagé en 40% pour BRIC, 50% pour ROW et 10% pour OCDE. On suppose qu'un marché de droits d'émissions permet aux trois régions de faire négoce du carbone. Le potentiel de sequestration dans chaque région est supposé être de 8 Gt par an pour BRIC, 5 Gt pour OCDE et 10 Gt pour ROW.

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Le rôle joué par les technologies CDR dans un régime de neutralité carbone

F. Babonneau, O. Bahn, A. Haurie, and M. Vielle. An oligopoly game of CDR strategic deployment in a steady-state net-zero emission climate regime. Environmental Modeling and Assessment, Vol.26(1), pages 1-16, December 2021.

Nous considérons une situation à la fin du XXIème siècle ou au-delà, où les objectifs de développement dans différentes régions du monde ont été atteints. Pour représenter un "monde durable", nous utilisons un modèle économique en régime permanent. on représente alors la concurrence entre différentes régions du monde dans l'offre de permis d'émissions obtenus grâce à des activités de CDR.

Au-delà du boisement, une approche de choix pour produire des émissions négatives est le BECCS pour produire de l'électricité à partor de la biomasse (BE) en capturant et séquestrant le carbone (CCS). Cependant, cette approche n'est pas sans risques et limites, liés notamment à la quantité de terres arables nécessaires à la culture de plantes énergétiques. Une autre alternative est le captage direct du carbone dans l'air (DAC). Elle implique la sorption chimique du CO2 dilué de l'air en circulation et la libération du CO2 concentré tout en régénérant ces produits chimiques. En principe, tout flux concentré de CO2 produit par la DAC ou le captage industriel du CO2 pourrait être être recyclé en carburants "à faible teneur en carbone", tels que le "diesel à faible teneur en carbone". Nous considérons plutôt la DACCS, où le CO2 capté à la fois dans les usines de production d'énergie locales et dans des installations de DAC est stocké dans des réservoirs désaffectés de gaz ou de pétrole, ou dans les nappes aquifères.

Le potentiel de mise en œuvre du DACCS devrait varier considérablement selon les régions du monde. Le premier critère d'évaluation de ce potentiel est la possibilité d'avoir accès à une source d'énergie et de chaleur bon marché et sans émission (par exemple, le gaz naturel avec CSC, le solaire ou le nucléaire) ; un deuxième élément est le potentiel de séquestration (par exemple, dans les réservoirs de pétrole et de gaz épuisés, les aquifères). Les technologies DACCS pourraient être assez coûteuses. Les évaluations actuelles prévoient un coût entre 200 et 600 dollars américains par tonne de CO2 éliminée; cependant, le prix du carbone en 2050 donné par différents modèles d'évaluation intégrée et macroéconomiques est de cet ordre de grandeur.

Le tableau ci-dessous résume les principaux résultats des simulations effectuées à laide des modèles que nous avons développés: Dans une situation dite de référence (BAU) où seules des mesures liées au progrès techniques sont prises, on estime que les émissions annuelles de CO2 en régime stationnaire s'élèveraient à près de 47 Gt de CO2; si l'on établit un régime stationnaire avec neutralité carbone, les émissions de CO2 se réduisent à 19 Gt qui sont entièrement compensées par des mesures de capture diecte, 4 Gt environ par boisement, 8 Gt par BECCS et près de 7 GT PAR DACCS.

 

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Un espoir pour les pays du Golfe?

F. Babonneau, A. Badran, M. Benlahrech, A. Haurie. Transition to Zero-net emissions for Qatar: A policy based on Hydrogen and CO2 capture & storage development, Energy Policy, Volume 170, Published online November 2022, 113256.

F. Babonneau, A. Badran, M. Benlahrech, A. Haurie, M. Schenckery, and M. Vielle. Economic assessment of the development of CO2 direct reduction technologies in long-term climate strategies of the gulf countries. Climatic Change, Published online 25 April 2021.

 

L'objectif de l'Accord de Paris de limiter l'augmentation de la température de l'air en surface à 2°C, ou même à 1.5°C, d'ici la fin du 21ème siècle pose un défi stratégique important pour les pays producteurs de pétrole et de gaz. C’est en particulier le cas pour les États du Golfe (GCC). Dans un projet mené avec l’Université du Qatar ORDECSYS a participé à l’évaluation des technologies de réduction directe du carbone (CDR), en particulier celles qui capturent le CO2 dans l’air (DAC), quand elles sont associées à un marché international d'échange de droits d'émissions, pour atténuer les risques d’actifs bloqués dans ces régions.

Pour modéliser le contexte politique, on suppose qu'un budget global d'émissions cumulées aura été alloué entre différentes coalitions de pays - le GCC étant l'une d'entre elles - et qu’un marché international d'échange de droits d'émission a été mis en place. Ces coalitions sont en concurrence sur le marché du carbone et décident d’une stratégie d’offre de droits d’émissions, associée à une politique de réduction des émissions de GES et de déploiement des technologies CDR. Les gains pour chaque coalition sont évalués à partir de simulations de scénarios effectuées à partir d’un modèle d'équilibre économique général qui représente toutes les coalitions concernées.

Si un système international d'échange de droits d'émission est mis en place, les pays bénéficiant d'un avantage dans le développement des activités DACCS auront la possibilité de "miner" des droits d'émission. Ces droits seront une ressource échangée sur un marché, avec un coût logistique très faible. Il se pourrait très bien que les mêmes pays qui bénéficiaient d'une rente pétrolière et gazière susceptible de disparaître dans le cadre d'une politique climatique affirmée obtiennent, à l'avenir, une rente d'émission négative grâce à la mise en œuvre de systèmes DACCS à grande échelle.

On considère trois scénarios : a) un scénario de référence où il n’y a pas de limite imposée au budget cumulatif d’émissions ; b) un scénario « vert » où le budget global cumulatif d’émissions est limité à 1170 Gt de CO2 sans possibilité d’avoir des émissions négatives ; c) un scénario « CDR » où le budget est limité à 1170 Gt de CO2 mais les coalitions peuvent utiliser des technologies de réduction directe (bioénergie avec capture et séquestration ou capture directe dans l’air DAC avec séquestration du carbone) pour augmenter leur offre de permis d’émissions sur le marché international.

Les simulations effectuées pour ces trois scénarios indiquent que les pays producteurs de pétrole et de gaz, et en particulier les pays du GCC, sont confrontés à un risque important d’actifs bloqués, en raison du "pétrole imbrûlable" si un régime climatique mondial tel que recommandé par l'Accord de Paris est mis en œuvre. Le développement des technologies CDR, en particulier la capture directe dans l'air (DAC), atténue quelque peu ce risque et offre à ces pays une nouvelle opportunité d'exploiter leurs réserves de gaz et leur capacité de stockage du carbone. En effet, une technologie DACCS basée sur l’utilisation du gaz naturel comme source d’énergie (électricité et chaleur) est disponible, avec un coût de moins de $300 par tonne de CO2 capturée et séquestrée. Comme, dans nos simulations le prix du carbone dépasse ce niveau après 2050, les émissions négatives deviennent une nouvelle ressource exploitable par les pays riches en gaz naturel et en capacité de stockage du CO2 (par exemple dans les réservoirs de pétrole épuisés).

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ORDECSYS est une société de recherche et de conseil créée en 2003 par des professeurs et des chercheurs de l'Université de Genève. Depuis lors, elle fournit des méthodes et des outils d'analyse technico-économique dans le cadre de contrats internationaux de recherche et de conseil. ORDECSYS est spécialisée dans l'optimisation des systèmes, la décision en situation d'incertitude et la gestion des risques. ORDECSYS applique ces méthodes, en particulier, à la modélisation de la transition énergétique et à l'économie du changement climatique.

Expertise

Transition énergétique
Economie du changement climatique
Evaluation des retombées économiques
Optimisation et simulation des systèmes
Analyse de décision robuste